Mon cher petit village

Mon cher petit village

          C'est le plus petit village des Alpes Maritimes perché sur son rocher à 630 m d'altitude, 200m au-dessus de la vallée de la Tinée. Ma mère est originaire de ce village, d'une vieille famille celle des Faraut. Aussi loin que je remonte dans mes souvenirs, je me revoie y passant toutes mes « grandes vacances » août-septembre, à l'époque. « Monter à Marie » était une véritable expédition. Tout d'abord, il fallait descendre du boulevard du Righi où nous habitions, avec des colis et des paniers, longer tout le boulevard Joseph Garnier et arriver enfin à la « Gare du Sud ». Une locomotive à charbon tirait un train poussiéreux qui longeait la plaine du Var. J'étais fascinée par cette eau qui coulait vive et tumultueuse le long de cette plaine du Var, uniquement agricole à l'époque. Brusquement, changement de décor. Nous quittions la plaine pour la montagne. À la gare de « La Tinée », transbordement : passagers et bagages se retrouvaient dans un tram brinquebalant. Cahin-caha nous longions encore un moment, ce fleuve qui me captivait, et au confluent du Var et de la Tinée, le tram s'engageait dans la vallée de la Tinée, étroite entre ses montagnes abruptes. Après de nombreux arrêts à chaque village, notre gare apparaissait, toute blanche, avec son beau panneau : MARIE. La gare existe toujours avec son inscription et est d'ailleurs habitée. Nous n'étions pas pour autant arrivés : nouveau transfert. Un villageois, averti par les soins de mes parents, nous attendait avec son âne. Le chargement était une opération délicate : il fallait bien équilibrer les paniers des deux côtés du bât, puis charger au maximum entre les paniers. Et maman me disait : « accroche-toi à la queue de l'âne, il va te tirer ». C'est ainsi que nous attaquions les trois kilomètres de lacets pour arriver enfin au village. Tout ceci explique pourquoi dans ma tête de toute petite fille je trouvais Marie si loin, si loin, si loin...............
          Enfin, un joli gazouillis d'eau qui coule : nous sommes arrivés à La Colle accueillis par ce charmant canal qui descend de la montagne pour arroser les jardins. Ce canal traverse en souterrain la place de « La Colle », poursuit son chemin le long du « barri » qui nous sert également de sièges, longe le cimetière et va arroser le jardin du curé, cette oasis de verdure, ces arbres fruitiers, ce grand figuier qui nous accueille l'été sous ses branches. Ne cherchez plus cet Eden, c'est devenu un parking et le vieux presbytère un peu vermoulu, une HLM.
          Nous passons devant la vieille église au porche patiné par les ans et qui s'enorgueillit de posséder la plus belle statue de la Vierge du département entièrement sculptée dans un tronc d'olivier.
          Nous descendons dans la rue Principale, pavée de vieux galets ronds de La Tinée, toujours sous le charme de ce canal à ciel ouvert qui descend jusqu'aux jardins du Ripiton.
          Nous traversons la Place de la Mairie au charme désuet avec sa fontaine aux eaux cristallines, son vieux lavoir aux pierres usées et trônant au milieu de la place le superbe poteau de bois qui attend la fête patronale pour être décoré.

Et toujours le bruit de l'eau.

          Au Portal, notre vieille maison nous attend avec ces grosses dalles de pierre dans la cuisine, un vieil escalier de bois tout branlant, et les vieilles poutres enfumées. Et toujours le bruit de l'eau, c'est un torrent qui passe sous les maisons.
          C'est une joie le lendemain, de courir jusqu'à La Traverse, c'est un chemin bucolique, des murs de vieilles pierres des deux côtés, des prés à droite, des jardins à gauche, et des nuées de papillons aux couleurs multicolores volettent autour de nous. Au lavoir public les bugadières rincent leurs draps de grosse toile « coulés » à la cendre la veille. Ils vont être étendus sur des fils le long du chemin. Je n'ai jamais vu de linge d'un blanc si éclatant. Contigu au lavoir, un bassin alimenté par la divine fontaine de « La Fonleugne » à l'eau si fraîche et si pure, sert d'abreuvoir. En face, le vieux moulin à huile est au repos, il attend la prochaine récolte d'olives pour actionner à nouveau ses meules.

Et toujours le bruit de l'eau.

          Un petit chemin nous conduit à « La Fange » Les prés n'ont pas encore été fauchés. Notre pré de « La Fange » déploie ses herbes tendres, hautes, parsemé de fleurs multicolores, un vrai ravissement. La tentation est trop forte : ma sœur Josette me prend par la main et « un, deux, trois », nous sautons du bord du chemin, dans le pré en contre-bas, et plongeons avec un plaisir intense dans cette herbe odorante. Nous nous ferons sévèrement gronder par grand'mère qui nous accusera d'avoir « fripé » l'herbe, la faux ne pourra plus y faire son travail. 
          Un peu de repos pour admirer le village qui s'étale devant nous. Nous connaissons tous les habitants de chaque maison, celle de tante Catherine, celle de tante Marie, celle de tante Prospérine, celle de tante Philippine, etc., etc... Nous appelons « tante » toutes les femmes du village encore habillées à l'ancienne avec leurs larges jupons, leurs casaques et le foulard en triangle sur la tête. Mes yeux s'arrêtent sur un vieux mur tout à fait au sommet du village. Ce vieux mur est percé en deux endroits par d'élégantes fenêtres en pierre, à meneaux. C'était probablement une dépendance du château, peut-être la chapelle. Maintenant, ce serait certainement un site classé. Trop tard. Des années plus tard, monsieur Tibola qui a sa maison au-dessous, se plaint d'infiltrations provenant de cet emplacement. J'apprends que c'est la propriété de Mme Forlivési qui donne cette parcelle à qui la veut. Mimi Giuge, le mari Lolotte Philip, accepte, le notaire ne prend pas d'honoraires, à la place, il emporte les deux fenêtres. Mimi Giuge se dépêche de monter des murs en briques et voici à la place du vieux mur une maison bien rectangulaire, badigeonnée de rouge brique qui domine tout le village. Consolation, les fenêtres sont revenues à Marie et décorent la tour du château.
          Parfois, c'est à la fontaine du four que nous allons chercher l'eau dans nos vieux seaux de cuivre. Nous passons sous la porte féodale qui a donné son nom au quartier : « le Portal ». Une jolie petite place nous accueille. La fontaine égrène sa musique, un petit abreuvoir désaltère les animaux, nous restons sous le charme de cet endroit hors du temps, avec ces vieilles maisons de pierre et ce vieux four communal. Sacrilège, en l'été 2013, une main bien intentionnée a barbouillé de larges bandes de ciment blanc tous les joints des pierres et ce pauvre four arbore piteusement une façade de grand échiquier.

Et toujours le bruit de l'eau.

          Maintenant, c'est au Ripiton que j'habite, une petite place tout au bout du village, au-delà de la fontaine du four. Une vieille grange construite avec de belles pierres en 1909 par le vieux Bottazzi est devenue notre habitation. Les murs sont intacts, l’intérieur transformé en habitation, uniquement avec du bois et quelques carrelages rustiques. L'accès se fait par une terrasse gagnée sur le ravin. Pavée de grosses dalles et de pierres elle a tout l'air de ces vieilles aires où l'on battait le blé autrefois. Je m'allonge sur un fauteuil et je ferme les yeux. Tout en bas, deux cents mètres plus bas, la Tinée roule ses flots capricieux. Je me laisse bercer par cette musique.

Des souvenirs divins de mon enfance viennent peupler ma mémoire.

Je respire l'air de Marie, si pur, si paisible, si serein.

Et toujours le bruit de l'eau.

Marie carte postaleCarte postale du village comme Mimi l'a décrit

 Nice, avril 2014 (93 ans)

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