La vengeance « Un plat qui se mange froid »
La vengeance
« Un plat qui se mange froid »
En 1945, après quatre ans d'occupation, les fêtes et bals sont de circonstance. À Marie, le vrai festin, avec banderoles, place ornée de buis, le poteau avec sapin au sommet et le drapeau au milieu, feu de joie le samedi au Peuil, la descente avec des gerbes de paille, procession dans les rues du village, aubades, aura lieu, comme chaque année le premier dimanche après le 8 septembre (fête de la Vierge). Une coutume, dont j'ai toujours été témoin, est que le dimanche suivant, « Fête de la Madonette », ait lieu un grand banquet réservé aux hommes ayant pris la cocarde du « Comité » le dimanche précédent. Voilà donc que ce fameux dimanche, Jean qui avait pris bien sûr la cocarde, après la messe, se rend à ce fameux banquet et me plante là. J'en suis ulcérée.
Lolotte Philip (les Philip, une famille extraordinaire) prononce une parole en l'air : « Et si nous faisions un banquet de femmes ». Ce n'est pas une parole en l'air pour tout le monde, car ce banquet nous allons le faire l'année suivante.
Ma voisine, Madame Bianchi, une estivante qui vient chaque année, locataire de la petite maison rose de Gégé Marasco, n'a pas froid aux yeux de même que d'autres estivantes. Nous décidons donc de faire un repas succulent. C'est Jean qui nous montera la viande que je lui ai commandée de la cabine téléphonique. Bien entendu, il ne connaît pas la destination de ce rôti. Nous passons dans toutes les maisons du village pour inviter toutes les femmes. Dans beaucoup de maisons nous nous faisons incendier (les Testoris, la mère de Constance, etc...). Par contre, la vieille Bibiano accepte et sera de la partie. Nous voilà à l’œuvre.
Pendant que les hommes, et bien sûr les demoiselles d'honneur qui ont préparé le repas, s'installent dans la salle de classe (l'actuelle mairie), nous dressons une grande table sous la tonnelle de la maison Testoris, (rez-de-chaussée de la maison Otto-Bruc). L'appartement a été loué à une estivante, qui elle aussi, n'a pas froid aux yeux. Et nous fermons à clé le portail de bois. Aussitôt, de leurs fenêtres, les hommes n'ont plus d'yeux que pour nous. Casimir Ciamous descendra même et à travers les lames du portail, se fera servir un gâteau (fait par l'une d'entre nous avec crème Chantilly) comme un bébé que l'on fait manger.
Bref, là-haut, le repas d'hommes doit être morose. Vite expédié, la plupart des hommes part jouer aux boules. Adieu le bal prévu.
Un petit groupe reste accroché au portail. Alors, une idée. Nous allons les arroser. Nous montons à la fenêtre du demi-étage et de là nous les arrosons copieusement. C'est la bataille des seaux. Le vieux Benjamin Paul, s'amuse comme un fou et déclare : « J'ai fait la guerre de 14, je peux bien recevoir quelques salves d'eau ».
Résultat : nous avons œuvré pour la libération de la femme mariole et ce banquet des hommes n'a plus eu lieu.
Un hic cependant !
Les demoiselles d'honneur qui auraient pu, avec un peu d'astuce et beaucoup d'humour, retourner la situation à leur avantage, au contraire, se sont fâchées. Ainsi, ai-je perdu mon amie d'enfance, Constance Giuge, même mois, même année de naissance, mon témoin de mariage. Elle n'a même pas daigné, quelques années plus tard, me faire part de son union avec Destéfanis de Saint Dalmas Valdeblore, un parent de mon mari. Quant à Lulu Testoris (Madame Andrau), elle a mis quelque temps avant de m'adresser à nouveau la parole.
N'importe !
Nous avons largement contribué à l'émancipation de la femme « mariole ».
Ce fut une journée mémorable !
La Séréna 2012