L'éclair.   (vers 1929-1930)

L'éclair.   (vers 1929-1930)

Ce sont les grandes vacances à Marie chez ma grand-mère avec maman, ma tante Louise, ma sœur Josette, ma cousine Anna et moi. Je dois avoir sept ou huit ans. Nous habitons la vieille maison du « Portal », plus que rustique. La cuisine donne de plein pied sur la rue, elle est pavée de grosses dalles de pierres lisses, la paillasse sous la fenêtre, quelques étagères décorées de papier découpé en dentelle, une table bien sûr et des chaises de paille,un vieux poêle en fonte à trois pieds, une seule lampe au milieu du plafond car le village a une convention à durée limitée avec l'usine du Bancairon qui nous fournit en électricité pour pas cher mais chacun n'a droit qu'à une lampe par pièce. Au fond à droite, une dépendance à claire-voie que nous appelons le magasin car autrefois ma grand-mère y avait ouvert un commerce, reçoit sur ses larges étagères tout ce dont nous avons besoin. J'oubliais de dire qu'en fait de décoration, pendent accrochées à la lampe, deux guirlandes de papier collant sur lequel viennent s'agglutiner les mouches. Les rues parcourues sans cesse par des animaux en est la cause.
         
Il fait beau . Tata Louise a emprunté un âne et est partie faire la provision de bois à Rouvès, une campagne éloignée, limitrophe avec Clans.
        
Tout d'un coup un de ces orages d’août d'une violence inouïe éclate. Et tata Louise se trouve sur un chemin escarpé avec un âne sous un déluge !
       
Grand-mère allume une bougie bénite, nous fait mettre à genoux en rond autour de la bougie et nous récitons les prières. Tout d'un coup pendant que nous débitons nos «Je vous salue » et nos « Notre père », nous sommes entourées par un fulgurant cercle de feu, un éclair zigzague autour de nous à la vitesse de « l'éclair » puis repart. Il est arrivé par la cheminée, puis le poêle et est reparti par le même chemin . Un jeune Ciamous qui regardait devant sa porte a vu toute la scène. Est-ce un miracle de la Vierge de Marie que nous prions ou tout simplement ce bon vieux trèfle en fonte qui a servi de paratonnerre ? Toujours est-il que toutes les cinq, nous sommes commotionnées, pétrifiées, avec des sensations d'électricité dans le corps et n'arrivons pas à nous remettre de cette grande peur .
       Comme toujours, l'orage a enfin cessé, le beau temps est revenu et tata Louise aussi avec son âne chargé de bois. Elle est trempée, son chignon s'est défait, mais elle saine et sauve.

       Je nous revois tournant comme des folles autour de la grande table de la salle, recouverte de toile cirée à carreaux, en une ronde effrénée et sans fin. Nous avions besoin d'évacuer le stress après une telle épouvante.

Nice, mai 2014

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