Les Sentiers de Marie, Entre Ciel et Tinée.

Un village une histoire, une rubrique du site Facebook  "Comté de Nice et son histoire

 Roland Ciccoli, Administrateur de ce site a publié cette nouvelle sur MARIE

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Les Sentiers de Marie, Entre Ciel et Tinée.

Je suis assis ici, sur un muret de pierre moussue, juste à l'entrée du village. Le soleil d'après-midi réchauffe ma veste, et j'ai étalé ces vieilles cartes postales. Écoutez ce que me disent les fantômes de Marie-sur-Tinée.
Marie, ce n’est pas un village qu’on traverse, c’est un lieu où l'on entre, un peu timidement. Regardez la photo de la ruelle, la "Rue du Murmure". Quand j'y passe, je me sens aspiré par le temps. Le chemin monte, les pavés sont usés, et au-dessus de moi, l'arche de pierre semble soutenir tout le passé du village.
Ici, rien n’était moderne, tout était essentiel. Je m'imagine le pas lourd et régulier d’un homme d'il y a cent ans, un certain Honoré, pressé de rentrer, sa silhouette glissant entre les murs massifs. La fraîcheur qui s’y engouffre aujourd'hui était autrefois le seul climatiseur. C’est le cœur battant du village, un labyrinthe de pierre où chaque escalier, comme celui-là, montait vers une vie.
La vue générale montre à quel point les maisons sont collées. Elles se protégeaient les unes les autres, un véritable rempart de tuiles et de schiste face à l’immensité de la montagne.
En randonnant autour, on ne peut pas ignorer l'effort colossal pour dompter ce paysage. Le symbole de leur courage, je l'ai trouvé en examinant cette carte : le Pont de la Vingt-Cinq et son Canal du Bancairon.
Je m’arrête toujours devant ce pont. Ce n'est pas juste une structure de béton et de fer pour la route. C'est surtout le souvenir de ce canal. Invisible sur la photo, mais vital. Il a fallu des jours, des mois, des vies entières pour tracer ce filet d’eau à flanc de paroi, juste pour que les champs là-haut, ceux que je vois depuis l'ancien château, puissent donner du grain.
C’était la philosophie de la Tinée : il fallait mériter l’eau. Ces gens n'étaient pas riches en terres, mais ils étaient d’une richesse incroyable en persévérance. C'est ce travail de titan qui résonne encore dans le paysage quand on longe la rivière.
En regardant la carte de la vallée, si profonde, si escarpée, je réalise l’isolement. Avant les routes carrossables, descendre de Marie vers Nice était une épopée.
Ces cartes, elles étaient le lien. Elles permettaient à ceux qui partaient chercher du travail les Honoré du village de se souvenir, d'envoyer un simple « Je pense à vous » avec une image de leur église chérie. Le clocher que l'on voit sur une photo n'était pas juste un repère visuel ; c'était un signal silencieux.
Aujourd'hui, Marie est plus accessible. Mais quand je me promène, je trouve que les pierres gardent encore les secrets de cette époque où l'on vivait collé à la montagne, où le bruit le plus fort était celui de la rivière ou de la cloche. Le charme du village, c'est cette patine, cette histoire que l'on lit dans chaque mur.
(Je range les cartes postales, le soleil commence à décliner. Il est temps de repartir.)

Anecdote
L'une des cartes montre la "rue principale" (Intérieur du Village, la rue principale). Aujourd'hui, on appellerait cela un simple sentier ou une ruelle.
Dans ces villages très escarpés, l'absence de rues larges carrossables (avant le XX siècle) signifiait que tout, absolument tout, était porté à dos d'homme ou de mulet. Si quelqu'un tombait malade, il fallait le transporter sur une civière étroite, parfois à travers des escaliers raides comme celui de votre autre photo voûtée. Les habitants devaient être d'une endurance physique exceptionnelle. C'est pourquoi, même la "rue principale" n'était qu'un chemin de pierre : le véritable luxe était d'avoir des terrasses plates pour cultiver, pas des routes pour se promener en voiture.
Une des vues est prise depuis le Vieux Château (vue prise du vieux Château).
Ce château, ou ce qui en reste, n'était pas un lieu de luxe. Il était la preuve que, historiquement, la vallée de la Tinée était une zone de passage et de conflits, souvent disputée entre le Comté de Nice et la Savoie/Piémont. On raconte que l'emplacement stratégique du château permettait de surveiller le passage des troupes ou des contrebandiers le long de la rivière. Lorsque les troupes passaient, les habitants devaient cacher les récoltes et le bétail dans des caves secrètes ou des abris de fortune dans les montagnes, une pratique courante dans l'histoire mouvementée de cette région frontalière.
Comme beaucoup de villages de l'arrière-pays niçois, Marie-sur-Tinée a connu une forte émigration saisonnière ou définitive, en particulier vers Nice et la Côte.
Les hommes partaient souvent après les récoltes pour travailler sur la Côte d'Azur, notamment dans la construction qui explosait au XIX et au début du XX siècle. Ils étaient maçons, charpentiers, ou manœuvres. Ils revenaient au village pour les grandes fêtes religieuses (Pâques, Noël) ou pour la période des semailles/moissons. Ces allers-retours maintenaient un lien vital entre les montagnes et la ville, et ces migrants étaient parfois surnommés les "hirondelles" de la Tinée. Ils ramenaient à Marie l'argent nécessaire pour la survie et l'entretien des maisons, mais aussi les idées et les modes de la ville, créant un choc culturel amusant lors de leurs retours.
Le pont et le canal du Bancairon sont un témoignage de l'organisation communautaire.
La construction et surtout la maintenance de ces canaux d'irrigation étaient régies par des règles très strictes, souvent dictées par les "Syndicats d'Arrosage". Le droit à l'eau était jalousement gardé. Il y avait des "tours d'eau" (horaires d'arrosage précis) pour chaque famille. Oublier de fermer sa vanne ou, pire, voler l'eau de son voisin était une cause fréquente de querelles qui pouvaient durer des années ! Le travail de désenvasement du canal après l'hiver était une corvée obligatoire qui soudait (ou divisait) les hommes du village.
Ces petites histoires montrent que la vie à Marie était une lutte quotidienne, mais aussi un tissu social serré, où les difficultés étaient partagées sous le regard des montagnes.

Roland